Société des enseignants 
neuchâtelois de sciences(SENS)

BULLETIN No 22 / Mathématiques

Le Monde fermé d'Olympie

André Ammann, Yverdon

Comme nous admirions les arbres de nos jardins aux ramifications innombrables, je félicitai mon élève, qui avait passé très brillamment son test en observant que la suite 1, 2, 4, 9 se poursuivait par 20, 48, 115, 286, ..., (1) et je profitai de son admirable pouvoir divinatoire pour lui poser quelques questions annexes :

Connais-tu lui dis-je, une suite remarquable débutant par 1 ?
- Bien sûr, c'est 1, 1, 1, ... me dit-il.

Et une suite qui débute par 1, 2 ?
- Naturellement, ce ne peut être que 1, 2, 4, 8, ... car la suite des nombres naturels 1, 2, 3, 4, ... est trop banale pour être remarquable.

Très bien ! Et puis, par 1, 2, 5, pour changer un peu ?

Presque immédiatement, il déclara que dans la suite des nombres de Fibonacci 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, ... où chaque terme est la somme des deux précédents, c'était lorsqu'on prenait les termes de deux en deux.

Parfait ! Et si je te donnais 1, 2, 5, 14 ?

- Alors, rétorqua-t-il, du triple de chacun j'enlèverais une unité pour trouver le suivant, soit 41 ensuite, puis 122, etc.

Et que ferais tu pour 1, 2, 5, 14, 42 ?
Allait-il me donner la suite des nombres de Catalan à laquelle je pensais dès le début, et dont le terme suivant est 132 ?
Sa réponse fut cependant 131.

Comment l'as-tu trouvé, lui dis-je ?

Il me fit alors une révélation lumineuse :

- J'avais en tête, m'expliqua-t-il, une suite bien remarquable An de polynômes. Partant de A1 = 1-t qui assume la récurrence ak = ak-1 pour construire, à partir de a0 = 1, la suite 1, 1, 1, ... et de A2 = 1-2t qui, par ak = 2ak-1 fournit a2 = 4 dans la suite 1, 2, 4, 8, ... et les termes qui suivent, je formai, selon la règle An+1 = An - tAn-1 le polynôme A3 = (1-2t) - t(1-t) = 1 - 3t + t2 associé à la récurrence ak = 3ak-1 - ak-2 qui, en partant de a0 = 1 et a1 = 2, donne a2 = 5, comme il le fallait, puis a3 = 13, etc. c'est-à-dire les nombres de Fibonacci pris de deux en deux, puisque de Fk+2 = Fk+1 + Fk, Fk+1 = Fk + Fk-1 et Fk = Fk-1 + Fk-2, l'on déduit par addition Fk+2 = Fk + 2Fk-1 + Fk-2, alors que Fk-1 = Fk - Fk-2, ce qui donne enfin Fk+2 = 3Fk - Fk-2 pour la récurrence en parité.

C'est incontestable, approuvai-je. Mais ensuite ?
- Ensuite, formant A4 = (1-3t+t2) - t(1-2t) = 1-4t+3t2, je considérai la récurrence ak = 4ak-1 - 3ak-2 qui, avec les conditions initiales a0 = 1, a1 = 2, fournit d'abord a2 = 5 et a3 = 14 comme demandé, puis a4 = 41, et généralement ak = ½ (3k+1) comme ak = 3ak-1-1

Remarquable ! La vérification en effet est immédiate, et si l'on peut préférer la simplicité de cette dernière récurrence, elle n'est pas pour autant de la forme générale de celles qui précèdent, à cause du terme constant -1.

Et qu'en est-il après ?

- Eh bien ! Avec A5 = 1-5t+6t2-t3, du départ a0 = 1, a1 = 2, a2 = 5 l'on arrive, après a3 = 14 et a4 = 42, que vous imposiez, à a5 = 131. Vous voyez ainsi, sans ambiguïté, comment ce nombre m'est apparu.

Je ne pouvais pas en disconvenir, mais comme j'étais décidé à lui faire entrevoir la suite des nombres de Catalan qui figure combien il est possible de faire des décompositions en triangles d'un polygone convexe plan par des diagonales qui ne se coupent pas, je plaçai la barre encore plus haut, en lui proposant 1, 2, 5, 14, 42, 132 en tant que conditions initiales, espérant qu'il trouverait à ce point le nombre suivant 429.

Ce fut pourtant 428 qui sortit de son calcul pour le nombre a6, et je compris alors qu'il était inutile d'aller plus loin, car chaque épreuve lui donnait par son procédé, pour le nombre succédant au dernier de ceux que je lui suggérais, une unité de moins que celui que je voulais.

Il me fallut donc lui expliquer ce qu'étaient ces nombres de Catalan, en dessous desquels il plaçait toujours les siens, d'une façon valable et générale, mais différente de celle que j'attendais. Si loin que j'aurais pu aller dans l'énumération des termes de la suite que j'envisageais, il était toujours en mesure d'en construire une autre, dont les termes cessaient, après ceux que j'avais donnés, de coïncider avec les suivants. Il comprit que les nombres que je lui révélai constituaient pour toutes les suites de son invention un plafond inaccessible, parce qu'ils possédaient une croissance plus rapide, et que bien qu'il puisse les rattraper à la course sur un parcours fini, de quelque longueur qu'il le veuille, il n'y parviendrait jamais définitivement.

Il eut de cela une grande satisfaction, et quand je lui indiquai sous la forme explicite l'expression de ces nombres en terme des binomiaux, il me demanda si quelque relation de récurrence pouvait les engendrer.

Il faudrait, lui dis-je, que nous parlions de cela plus en détail, car il est de telles relations qui ne sont pas linéaires (2), et de celles-là justement dépendent les nombres de Catalan. Ton procédé (3) en constituait une sorte d'approximation, comme font les sommes partielles dans une série infinie. Tu les retrouveras dans la diagonale du tableau suivant :

 

1 1 1 1 1 1 1 ...
1 2 4 8 16 32 64 ...
1 2 5 13 34 89 233 ...
1 2 5 14 41 122 365 ...
1 2 5 14 42 131 417 ...
1 2 5 14 42 132 428 ...
1 2 5 14 42 132 429 ...

(c) André Ammann, 1999