Introduction
Cet article présente une recherche en mathématique,
réalisée au collège des Forges de l'école
secondaire de la Chaux-de-Fonds, par deux étudiants de 9ème
année (15 ans) de la section « Maturité »
pour leur travail d'option spécifique en « atelier
de sciences ». Il s'agit de Céline Stähli
et Yann Abbet qui se sont littéralement immergés
dans leur sujet et qui ont été la plupart du temps autonomes
dans leurs déductions et leurs découvertes, ainsi que
pour leurs productions informatisées qu'ils ont effectuées
à domicile.
La démarche de travail que je leur ai proposée est donnée
par quatre situations mathématiques réparties sur
10 périodes:
1) Itération d'une fonction (2 périodes)
Familiarisation avec le concept d'itération
2) Itération d'une fonction linéaire (2 périodes)
Familiarisation avec la notion de convergence et divergence
Découverte d'une stratégie géométrique
3) Itération d'une fonction du 2ème degré
(2 périodes
)
Familiarisation avec le concept d'
attracteur
Recherche algébrique et géométrique
4) Convergence vers le chaos (4 périodes
)
Quête et émergence du
chaos
Découverte de l'augmentation du nombre de solutions de convergence
L'intérêt pédagogique de cet atelier porte
sur différents niveaux :
1) J'ai proposé à mes élèves ce
sujet d'étude sur le chaos, car je suis personnellement
un passionné de la nouvelle géométrie fractale,
ce qui m'a inévitablement conduit à m'intéresser
aux systèmes chaotiques.
La relation maître – étudiants qui se construit,
alors que les deux parties travaillent sur le même projet de
recherche, est de haute qualité, associant motivations, échanges,
plaisirs, et une reconnaissance réciproque.
2) L'itération d'une fonction est une approche
particulièrement intéressante car elle sort de la perspective
habituelle d'étude d'une fonction. C'est
une approche relativiste, de « l'intérieur »,
de la même manière qu'Einstein a étudié
la vitesse de la lumière en se plaçant « assis »
sur un photon, image utilisée par lui-même et inspirée
d'un de ses rêve d'enfance, pour illustrer le « référentiel
mobile ».
Avec une itération, on se place « assis »sur
la valeur de départ x , et on suit la trajectoire de la valeur
au travers de la fonction y . On observe le comportement de la fonction,
divergent ou convergent.
Cette perspective relativiste de « l'intérieur »,
donne une présentation de « ce que la fonction a
dans le ventre ». De la même manière que l'on
« scanne » les nombres naturels avec la décomposition
en facteurs premiers, afin de savoir « ce que le nombre
a dans le ventre », comme me l'a transmis mon maître
de stage François Jaquet , lors de ma formation.
3) C'est B. Mandelbrot qui souligne le caractère « non
linéaire » des systèmes chaotiques.
Cette «non-linéarité» est un objectif fondamental
de l'enseignement des mathématiques au niveau secondaire. C'est
par rapport à la « non-linéarité »
que peut s'individualiser le concept particulier de « linéarité »
(voir à ce sujet l'article de F. Jaquet , La tentation de
la proportionnalité, Math-école 198, p.30).
4) Il faut enseigner le chaos. Quelle que soit la perfection atteinte
par la mathématique linéaire, elle abuse inévitablement
l'étudiant et fausse son jugement sur le monde, terriblement
non-linéaire, qui ne possède pas nécessairement
des propriétés dynamiques simples, mais complexes.
Cela devrait aussi être présent à l'esprit de nos
dirigents. L'économie au travers de la bourse, l'écologie
au travers du climat, la politique au travers du social, sont tous des
systèmes chaotiques, susceptibles de basculer suite à
« la goutte qui fait déborder le vase »,
ne suivant plus du tout une logique linéaire, mais au contraire
une logique chaotique et complexe : crises monétaires, catastrophes
écologiques ou guerres sociales.
Etre conscient de la fragilité et de la sensibilité
des systèmes chaotiques, ouvre des perspectives nouvelles pour
le développement durable de notre planète.
Plan de l'article
Les quatre situations seront présentées, l'une après
l'autre avec chaque fois l'énoncé du problème suivi
d'extrait des travaux réalisés par les élèves,
le tout suivi d'un bref commentaire. Un bref complément théorique
termine l'article.
Situation 1 : Itération d'une fonction
Problème
Je dépose un capital de 100.- Frs dans une banque .
Cette banque m'offre le 10% de mon capital après une
année de dépôt de mon argent.
Je laisse l'ensemble de mon argent à la banque, sans
y toucher, durant plusieurs années. (ITERATION)
a) Etudie en terme de fonctions la transformation du capital,
année après année.
b) Réalise un graphe sur papier millimétré.
(projet pour la réalisation du graphe à l'ordinateur)
Travail à l'ordinateur
A l'aide d'un « éditeur graphique »,
tu peux représenter ta fonction mathématique.
Imprime la formule mathématique ainsi que ton graphique,
à différentes échelles, sur une feuille
blanche tirée du logiciel « Word ».
Recherche
En utilisant ton graphique imprimé, essaye de découvrir
une stratégie géométrique pour illustrer
le processus d'itération. Afin de découvrir
ce processus, construis et observe le tableau de valeurs
représentant la fonction de la situation problème.
Note la particularité de ce tableau, cela te permettra
de définir ce qu'est une itération.
(Tu utiliseras cette stratégie géométrique
pour la suite de tes découvertes ...)
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Travail réalisé
Commentaire
La figure montre la stratégie géométrique utilisée
correspondant au calcul de l'itération, on prend une valeur de
départ, ici x = 20, on cherche (ou calcule) la valeur de y correspondante
(y = 22), on la reporte sur l'axe des x par symétrie (prend cette
valeur comme nouvelle x) et on recommence.
A ne pas confondre, cette étude de la convergence et celle
qui consisterait, par exemple, à l'étude du comportement
asymptotique de la fonction.
Les élèves ont étudié ce comportement
pour plusieurs valeurs initiales.
Situation 2 : Itération d'une fonction linéaire :
Convergence et divergence
Observation du comportement d'une fonction itérée
Définition
Convergence : On dit que « y »
converge si la valeur de « y » tend
vers un nombre précis et fixe durant l'itération.
Divergence : On dit que « y »
diverge si la valeur de « y » tend
vers l'infini durant l'itération.
Problème
Itérer des fonctions linéaires du type y = a
x et indiquer pour quelle(s) valeur(s) de a « y »
diverge ou converge.
Pour cela complète un tableau de valeurs pour
chaque fonction étudiée, ainsi que des représentations
graphiques réalisées à l'ordinateur.
Puis utilise la stratégie géométrique
que tu as découverte pour voir si ces fonctions convergent
ou divergent.
A partir de tes observations, essaye de formuler une loi
concernant l'itération des fonctions linéaires.
Avec le logiciel Excel, programme la fonction y = a x sur une
feuille de calcul, de manière à ce que si l'on
donne une valeur à « a » et à
« x », alors le programme nous fourni
la valeur de « y ».
Puis essaye de trouver un procédé de programmation
simple pour itérer cette fonction.
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Travail réalisé
Commentaire
Un problème de nomenclature et de notation se pose. Il faudrait
introduire les itérés de x par x
n+1 = f(x
n)
ce qui paraît ajouter un formalisme difficile à maîtriser.
La définition a été mise au point par discussion
et on a parlé de convergence et de divergence de « y ».
Ici un échantillon des travaux sont présentés
selon les deux méthodes : représentation sur la
« carte du premier retour » et relation de la
valeur de x en fonction de n, ceci pour diverses valeurs de la constante
a . Pour ces deuxièmes représentations on notera que
les ressources d'Excel sont utilisées pour le calcul et à
partir des résultats la création du graphe (voir aussi
ci-dessous).
La cas -1 pose problème puisqu'il y a à la fois non
divergence et non convergence. La notion de stabilité a été
introduite à cette fin !
Situation 3 : Itération d'une fonction du 2ème
degré et attracteur
Problème
Itérer de nombreuses fois une fonction simple. La
fonction prend un nombre à l'entrée, et en
rend un autre à la sortie, puis ce nombre sortant
est réintroduit dans la fonction qui va en fournir
un nouveau , etc.
Exemples
a) Fonction linéaire: y = 1,1 x (Evolution d'un capital
financier année après année)
Dans une banque, cette fonction exprime la relation entre
le capital de cette année « x »,
et le capital de l'année prochaine «
y ».
b) Fonction du 2ème degré: y = a x - ax2
(Evolution d'une population animale année après
année)
Pour une population animale, cette fonction exprime la
relation entre le nombre d'individus de cette année
« x » et le nombre d'individus de
l'année prochaine « y ».
Tâche
Réalise la représentation graphique de
la fonction y = ax - ax2 pour la valeur a =
2,7 à l'aide de l'éditeur graphique et copie
la formule et la représentation graphique sur une page
blanche du logiciel Word que tu imprimeras à différentes
échelles.
Puis, grâce à la « stratégie
géométrique » que tu as mis au point
précédemment, essaye de déterminer
si l'itération de cette fonction converge ou diverge.
S'il y a convergence, détermine géométriquement
(avec l'éditeur graphique) puis algébriquement
(par résolution de l'équation) la valeur
(x;y) du point de convergence.
Ce point (x;y) vers lequel l'itération converge est
appelé un attracteur.
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Travail réalisé
Commentaire
Cette activité est intermédiaire, on y retrouve les caractéristiques
du cas linéaire et amorce le cas de l'équation logistique.
On a représenté une partie de la feuille Excel qui permet
d'obtenir les valeurs de l'inération et de dessiner le graphe
de x en fonction du nombre d'itérations.
Situation 4: Convergence vers le chaos
Problème
Etudier l'évolution d'une population animale,
en terme de croissance ou diminution du nombre d'individus.
(Exemple: oeufs-larves-papillons, cycle de reproduction d'une
année, nourriture: feuilles et fleurs d'arbres). Avec
une fonction linéaire, on aurait une population
à croissance continue et illimitée, ce qui serait
une aberration écologique, puisque cette population
disparaîtrait en épuisant la nourriture de son
environnement.
L'évolution d'une population animale est plutôt
une fonction du 2ème degré du type suivant:
y = a x - a x2
Cette fonction est plus réaliste, car elle a la forme
d'une « bosse » faisant chuter la population
lorsqu'elle devient trop importante, ce qui correspond cette
fois à une réalité écologique.
En effet, la diminution de nourriture dûe à
l'augmentation de la population, entraine une diminution
de la reproduction de cette population pour l'année
suivante. L'évolution de la population dépend
de manière sensible de la valeur de a .
Tâche
Réalise une recherche mathématique détaillée,
sur les différentes situations déterminées
par la valeur de a .
A chaque fois tu noteras la formule, la représentation
graphique et l'attracteur (avec l'éditeur graphique
sur une page blanche du logiciel Word).
Avec un ordinateur et à l'aide du logiciel Excel, programme
cette fonction y = a x - a x2 sur une feuille de calcul,
de manière à ce que si l'on donne une valeur à
« a » et à « x »
alors le programme nous fourni la valeur de « y ».
Puis à l'aide de ta page de calcul programmée
sur Excel , tu imprimeras la représentation graphique
de la convergence ou de la divergence de la fonction itérée.
Enfin, tu essayeras d'interpréter en terme de
biologie chacune des situations présentées.
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Travail réalisé
a = 0.5
Attracteur : (0 ; 0)
Convergence vers 0; extinction de la population
a = 2
attracteur (0.5, 0.5)
Convergence vers une solution : 0.5; Population en
équilibre qui se stabilise vers une constante
a = 3
Convergence lente vers une solution : 0.666... ;
Progression en douceur de la population vers un équilibre stable
a = 3.2
Convergence vers deux solutions : 0.799... 0.513...
; Alternance de deux quantités de populations en équilibre
stable et constant
a = 3.5
Convergence vers quatre solutions : 0.875... 0.826...
0.500...0.382... ; Cycle de quatre quantités de populations
en équilibre stable et constant
a = 3.6
Convergence chaotique comprise entre une limite supérieure
(liée aux coordonnées du sommet de la courbe) et une
limite inférieure : infinité de solutions ?
Variation quantitative imprévisible de la population, bornée
par un maximum et un minimum
a = 4
Convergence chaotique comprise entre la limite supérieur
1 et la limite inférieur 0 : infinité de solutions ?
Variation quantitative imprévisible de la population, bornée
par le maximum 1 et le minimum 0
Résumé
Commentaire
On a représenté ici qu'une petite partie des diagrammes
réalisés chaque fois: « carte du premier retour »
et relation de la valeur de x en fonction de n.
Les valeurs de a considérées sont: 0.5 et 1 (convergence
vers 0); 2 (convergence croissante vers 0,5); 2,7 (convergence alternée
vers 0.629...) ; 3 (convergence alternée lente vers 0.666...);
Pour a = 3.1, 3.2, 3.3, 3.4 on a une oscillation entre deux valeurs
d'attraction. Un problème de désignation apparaît;
peut-on parler de convergence ?
Pour a = 3.5 la période a doublé.
Avec a = 3.6, 3.7, 3.8, 3.9 et 4 apparations de comportement bizzare.
Les outils à disposition ne permettent pas de voir
des résurgences de cas périodiques.
Compléments théoriques
Chaos
Selon L. Nottale, on peut définir le chaos dynamique comme
le comportement aléatoire se produisant dans certains systèmes
déterministes, donc rien à voir avec le sens usuel du
mot chaos, confusion, désordre, absence de loi. Le chaos est
une propriété de certains systèmes déterministes,
lesquels sont bien décrits par des lois.
C'est H. Poincaré qui découvrit qu'« un système
décrit par des lois déterministes peut avoir un comportement
relevant du hasard ». Le chaos se caractérise par
une haute sensibilité aux conditions initiales. C'est « l'effet
papillon » découvert en 1963 par le météorologue
E. Lorenz. L'écart final peut atteindre rapidement des proportions
énormes. Un système chaotique est donc limité
par un horizon temporel de prédictibilité. Une prédiction
à long terme est illusoire et une prédiction à
court terme s'exprimera à l'aide de probabilités. C'est
ce qui fait que l'on peut parler d'ordre dans le chaos. Le climat
est un système chaotique, et l'on connaît l'imprédictibilité
des prévisions météorologiques à long
terme. Par contre on peut davantage se fier aux prévisions
à court terme, mais la sensibilité aux conditions initiales
du climat ne permet pas d'assurer une prévision météorologique
certaine, on recourt alors à une prédiction en termes
de probabilité.
Un système chaotique évolue toujours vers son attracteur
(parfois qualifié d'étrange). De tels attracteurs sont
souvent fractals, comme l'attracteur étrange fractal de E. Lorenz
(Voir le graphique). Le climat est un système chaotique. Sa convergence
correspond à un processus de convection atmosphérique
qui produit au hasard, des successions de différents types de
climat relativement similaires, évitant les changements climatiques
extrêmes.
Historique de la science du chaos
La fonction y = a x ( 1- x) (pour les valeurs de a comprises
entre 0 et 4) est nommée fonction logistique par les
biologistes. Il s'agit d'un modèle de croissance de population
qui est chaotique pour certaines valeurs de a.
En fait , c'est environ à partir de la valeur a = 3,57
que se produit une bifurcation entre deux dynamiques très différentes
(Lehning, 2000).
C'est Robert May, biologiste américain, qui découvre
les bifurcations (voir le graphique) ainsi que la sensibilité
aux conditions initiales de la fonction logistique. Une toute
petite variation des paramètres a ou x produisent
des explosions démographiques de populations ou des extinctions
massives, d'où la difficulté de faire des pronostics
à long terme concernant l'évolution démographique
d'une population.
La formule de la fonction logistique correspond à une « virtualité
écologique » plutôt qu'à une « réalité biologique».
L'informatique permet de jouer avec les paramètres de la formule
afin de découvrir la nature de l'évolution de la population
en interaction avec son environnement.
C'est une simulation de la réalité d'une population
(la biocénose) se développant dans un habitat (le biotope)
dont les ressources alimentaires (l'énergie ) sont naturellement
limitées.
C'est Mitchell Feigenbaum, mathématicien américain,
qui découvre et explore le chaos au moyen de la fonction
logistique. Il décrit le chaos qui succède aux bifurcations,
dans lequel il découvre quelques éléments d'ordre
comme les attracteurs étranges. Il démontre aussi que
tout système chaotique converge vers son attracteur(voir graphiques).
Feigenbaum a élaboré la théorie du chaos qui
présentait pour la première fois la transition d'un
comportement périodique régulier vers le chaos. Elle
nous enseigne aujourd'hui comment des systèmes simples, telle
que la fonction logistique, peuvent avoir des comportements imprévisibles.
Références
Gleick, J. (1987). La théorie du chaos. Paris :
Flammarion.
Nottale, L. (1998). La relativité dans tous ses états.
Paris : Hachette.
Bergé, P. &t al. (1997). Des rythmes au chaos. Paris :
Opus.
Mandelbrot, B. (1997). Fractales, hasard et finance. Paris :
Flammarion.
Poincaré, H. (1968). La science et l'hypothèse. Paris :
Flammarion.
Bak, B. (1996). Quand la nature s'organise. Paris : Flammarion.
Lehning, H. (2000). Nouvelles tendances : chaos. Tangente,
Hors série n°10.