Société des enseignants 
neuchâtelois de sciences (SENS)

BULLETIN No 23 / Société

L'enseignement des disciplines scientifiques au Japon

Pierre Favre. psamuel.favre(at)bluewin.ch

En novembre 1999, l'auteur de ces lignes a eu l'occasion de faire un voyage d'étude au Japon. Il a visité des classes et observé directement l'enseignement en mathématiques, physique-chimie et informatique (malheureusement pas en biologie).

1. Contexte scolaire et culturel

Comme on l'imagine, il est dangereux de vouloir séparer un groupe de disciplines de l'ensemble de la formation, baignant elle-même dans une culture bien typée, comme c'est le cas au Japon.

Techniquement, l'école japonaise est organisée sur un schéma 6-3-3 (6 ans d'école primaire, 3 ans de secondaire I et 3 de secondaire II), précédé de deux ans d'école enfantine, dénommée là " Kindergarten ". Les classes ont un effectif d'une quarantaine d'élèves . Les plus jeunes portent un uniforme, tout comme leurs camarades du secondaire I ; au secondaire II, l'uniforme existe aussi, mais il est boudé par les élèves, qui ne le mettent qu'en des occasions particulières. Pour les jeunes filles, le modèle est celui d'un costume marin, alors que pour les jeunes gens, il s'apparente à un uniforme noir, à la militaire. Au passage, les chaussettes blanches en tire-bouchon, retenues souvent par de la colle de bureau, attirent l'attention sur les mollets ronds des adolescentes.

L'étude de la langue japonaise est à lier, dans la scolarité, à la pratique de la calligraphie. La musique, tantôt avec des instruments traditionnels, tantôt avec des équipements modernes, tient une grande place avec le chant, alors que le dessin et les beaux-arts paraissent en retrait. De la même façon, pour le sport, les arts martiaux, comme le judo et le kendo, voisinent avec des sports d'équipe à l'américaine. Cette juxtaposition de la tradition et du modernisme est bien dans la ligne de ce que constate l'observateur extérieur en visite au Japon.

En scolarité obligatoire, le système ne connaît que très peu de redoublements (principalement, pour des raisons de santé). En revanche, l'absentéisme a tendance à s'accroître : c'est une façon d'échapper aux contraintes et à la tradition. On connaît mieux en Europe, mais souvent de façon caricaturale, les écoles du soir (juku) suivies plusieurs jours par semaine, destinées à renforcer les connaissances dans les disciplines fondamentales et à se donner de meilleures chances pour l'entrée par concours dans les niveaux supérieurs. Malgré cela, nous avons souvent rencontré des élèves souriants et détendus.

Deux habitudes frappent le visiteur : c'est tout d'abord le fait de manger en classe à midi (les repas viennent le plus souvent d'une cantine scolaire, à laquelle collaborent parfois les élèves) ; la composition des mets est l'objet d'une sollicitude toute particulière, elle est une composante de la promotion de la santé. L'autre aspect est la participation des élèves aux nettoyages ; équipés de chiffons humides fixés sur des manches ad hoc, ils s'occupent de leur salle de classe et des corridors ou escaliers attenants.

Comme partout, il faut se garder de généraliser et de s'attacher à des phénomènes exceptionnels. A travers des écoles publiques ou privées, il faut savoir en tout cas que le Japon est parcouru par des courants de réforme scolaire, qui ont induit, par exemple, la création d'un certain nombre d'écoles globales (comprehensive schools). Une grande attention est, par ailleurs, portée aux enfants handicapés, qui bénéficient d'écoles particulièrement bien équipées.

2. Les mathématiques

C'est une discipline que l'on peut suivre de l'école primaire au gymnase et qui, à de rares inscriptions en caractères locaux (idéogrammes) près, est compréhensible quant à son contenu. L'examen du tableau noir révèle des programmes voisins des nôtres, même si l'on n'est pas sûr du découpage exact de la matière. Si l'approche est un peu moins expérimentale que chez nous, les enseignants ont visiblement une bonne marge de liberté dans l'organisation du travail (groupes, recherche,…).

Comme dans notre région (et pour d'autres disciplines aussi), l'originalité pédagogique est plus grande dans les classes des plus jeunes élèves, alors que le poids de la discipline l'emporte chez les plus âgés. Par l'effet d'un travail régulier appuyé par les fameux cours du soir, il semble que la solidité des acquis soit élevée et que les connaissances de base soient facilement disponibles. En revanche, on n'a pas de mesure de l'aptitude logique ou de la capacité d'invention, qui doit, encore une fois, à capacité égale, être relativement dépendante de l'attitude et des choix pédagogiques de l'enseignant.

Ce qui frappe le plus fortement l'observateur étranger, c'est l'absence de calculatrice de poche. A ce propos, on a répondu un peu sèchement à notre question: " On n'enseigne pas la calculatrice de poche… ". Ce n'est pas une attitude négative à l'égard de la technique, puisqu'en langue anglaise on autorise des dictionnaires électroniques avec des écrans de grande dimension nécessités par l'utilisation des caractères kanji en particulier. Contrairement à ce que l'on imagine chez nous, il n'y a pas non plus de bouliers (alors que la Chine voisine les emploie). Les tables (comme celles de la CRM) n'apparaissent pas non plus ; tout au plus détecte-t-on des extraits ad hoc suivant les sujets. Cela résulte donc d'un choix pédagogique, qui a certainement pour conséquence une habileté plus grande au calcul, bien que les opérations observées au tableau noir aient souvent utilisé des nombres simples et entiers. Ici encore, il faut se méfier d'une généralisation tentante ; il n'est pas impossible que des calculatrices existent à l'arrière plan, dans les poches ou à la maison. Le fait est qu'elles ne sont pas, à l'instar de ce qui se passe parfois dans nos classes, brandies comme des talismans ou utilisées hors de propos dans un contexte maniaque. D'un autre côté, l'ordinateur (voir plus loin) est bien présent et offre d'autres voies et approches.

3. La chimie et la physique

Dans la région que nous avons visitée (Kobé et ses environs, dans la préfecture de Hyogo (1)), pourtant très développée sur le plan industriel et universitaire, les disciplines citées ne semblent pas être une préoccupation majeure des milieux de l'enseignement. S'il y a des salles de sciences, elles ne paraissent pas spécialement bien équipées, le matériel observé étant parfois ancien.

Au niveau des contenus, il est plus difficile de se faire une idée qu'en mathématiques, le texte des problèmes ou des exposés étant impénétrable à nos yeux. En revanche, à travers les formules et les schémas présentés on découvre à nouveau que les programmes doivent être voisins des nôtres ; l'universalité des disciplines scientifiques est une réalité toujours à redécouvrir.

L'aspect expérimental paraît, à notre aune, un peu négligé. Il semble que l'on pratique d'abord ce que nous avons coutume d'appeler une physique du tableau noir ( y échappe-t-on vraiment autant qu'on le souhaiterait sous nos latitudes ?), qui a pourtant l'air d'intéresser les élèves, si l'on en juge à leur attitude. Il est certain que les connaissances emmagasinées là vont se révéler utiles pour l'entrée à l'université et au moment des premiers semestres. Il faut noter aussi à cet endroit qu'au gymnase les sciences expérimentales ont un caractère optionnel, qui explique aussi l'attitude positive de ceux qui prennent part à ces cours. Au secondaire I, on a en revanche une présentation intégrée dans un cours appelé " science ", où l'aspect expérimental paraît également difficile à développer (à l'exception peut-être des sciences naturelles).

En chimie, la même difficulté d'expérimentation se double de problèmes de sécurité. Dans les salles visitées, le bec Bunsen est voisin des livres et des cahiers, alors que rien ne protège le sourire des participants de projections caustiques. Les chapelles ne fourmillent guère dans ces locaux, où le risque d'émanations toxiques réduit les manipulations à des acides et bases dilués, ainsi qu'à des solvants pas trop inflammables. Toutefois, les tables d'expérimentation existent selon les standards habituels, avec bassins et armoires contenant le matériel.

Ici encore, avec des élèves ayant choisi cette discipline en option, il ne fait pas de doute que les connaissances de base sont acquises et se révèlent nécessaires dans les niveaux suivants. Toutefois, les motivations des choix, comme tout le problème de l'orientation professionnelle, ne nous sont pas apparus clairement.

4. L'informatique

Comme chez nous, un gros effort a été fait dans cette direction, avec un choix clair de la salle d'informatique comme élément clé de cet enseignement. Le gouvernement a donc subventionné ces équipements, qui sont à disposition dès l'école primaire.

Les salles d'informatique, outre un nombre de machines correspondant à la taille des classes, possèdent une possibilité de projection qui facilite les explications à un grand nombre d'élèves. Pendant nos visites, ces derniers ne faisaient que du traitement de texte, alors que d'autres logiciels, comme Excel (2), sont à disposition. Le traitement de texte s'appuyant sur des caractères kanji (avec la concession d'une disposition horizontale, alors que la disposition traditionnelle est verticale) est loin d'être évidente. Les élèves travaillent sur un écran partitionné en deux, préparant apparemment des éléments de texte dans la partie supérieure pour finalement les loger à la suite des lignes déjà écrites. Il est évident que cet aspect nous a complètement échappé par méconnaissance de la langue japonaise et de son écriture.

Si les installations permettent l'accès à un grand nombre d'élèves, les maîtres modulent visiblement leurs activités de façon à envoyer des escouades réduites, qui pourraient à la limite provenir de classes différentes. Sinon, l'informatique n'apparaît pas comme une discipline isolée : elle peut être pratiquée en option dans des activités complémentaires ou, probablement, intégrée à d'autres disciplines.

5. L'évolution du système scolaire

Comme tout système scolaire, celui du Japon évolue. Il évolue en lui-même constamment sous la pression des évènements extérieurs et sous l'influence des enseignants. Il se modifie aussi de façon discontinue à travers des réformes voulues par le gouvernement central. Le système décrit plus haut s'inscrit dans le contexte de la réforme de 1994, où l'on ne trouve pas de sections au secondaire I, mais des options en plus de cours obligatoires, options parmi lesquelles les élèves choisissent l'anglais et l'informatique par exemple. La charge horaire y est d'environ 1050 leçons de 50 minutes par an. Celle-ci paraît un peu élevée, si l'on tient compte du passage progressif à la semaine de cinq jours (on travaille encore partiellement le samedi matin). Des changements entreront en vigueur à l'horizon 2002 pour le secondaire I et 2003 pour le secondaire II. Si les changements quantitatifs sont plus faciles à percevoir, il est évident que des modifications qualitatives sont aussi visées. L'idée clef est l'apprentissage de la vie en communauté et de l'aptitude à penser et apprendre de façon autonome.

Il faut aussi prendre conscience que, déjà maintenant, le secondaire II se présente de façon ouverte et proche de notre gymnase : les trois quarts des élèves y suivent une formation générale (également caractérisée par des options) alors que de petits pourcentages sont dans une voie spécialisée : agriculture (3 %), industrie (9 %), commerce (9 %), nursing (0.5 %),…

Qu'en est-il alors de la place accordée aux disciplines scientifiques, thème de notre réflexion ? Au secondaire I, où la charge annuelle doit passer de 1050 à 980 périodes, l'évolution est la suivante : les mathématiques restent à 105 périodes (3) en 1ère année et passent de 140 à 105 en 2ème et 3ème année, les sciences gardent 105 périodes en 1ère et 2ème année, n'en conservant que 80 en 3ème (contre 105 à 140 avant). Les langues étrangères (i.e. l'anglais) gagnent leur place en obtenant 105 périodes (0 avant). Le japonais et les sujets à option perdent de leur poids en parallèle à celui des sciences. On constate là l'effet d'une décision politique, qui, d'une part, officialise un état de fait (l'anglais est choisi en option par la grande majorité des élèves actuels) et, d'autre part, traduit ainsi la volonté du gouvernement d'accroître et d'améliorer les contacts internationaux, ainsi que la compréhension de la production littéraire et scientifique étrangère.

La situation est plus compliquée avec le secondaire II, où l'on s'exprime déjà maintenant en terme de crédits (avec la clef qui veut que 1 crédit correspond à 35 périodes). Malgré le côté optionnel du système, il y a des obligations ; en mathématiques, il est nécessaire d'avoir au moins 4 crédits. En sciences, la situation est plus nuancée. Aux disciplines que nous connaissons (biologie, chimie, physique), présentées à deux niveaux, (2 et 4 crédits) s'ajoute la possibilité de suivre un cours de sciences intégrées, ainsi que les sciences de la terre (différentes de la géographie, à comprendre sous forme de géologie au sens large). L'exigence actuelle est de choisir deux sujets dans les cinq groupes correspondant aux disciplines décrites ci-dessus. Sans que le principe d'organisation change, les poids seront un peu modifiés à l'horizon 2003. Les obligations exprimées donnent le ton : il faudra en effet 5 crédits au moins en mathématiques. En sciences, on doit, dans l'éventail décrit plus haut, faire deux choix incluant en tout cas un cours de sciences de base ou de sciences intégrées (le tout aboutissant à 5 crédits au moins). Fait nouveau, l'informatique (appelée là " information ") devient obligatoire avec 6 crédits répartis apparemment sur les trois niveaux d'enseignement. Ce phénomène est à coupler avec l'obligation de l'étude de l'anglais à raison de 5 crédits au minimum. La culture, au sens de l'étude du japonais, de la musique et des beaux-arts, n'en est pas négligée pour autant, puisque des exigences minimum apparaissent également dans ces disciplines.

Les réformes prévues actualisent donc les exigences scolaires de façon à rendre les produits de la formation mieux adaptés aux besoins de la société. Mais cela se fait dans un souci d'équilibre où la tradition culturelle continue d'être respectée. De plus l'autonomie des établissements est renforcée dans la mesure où la notion de " projet d'école " est reconnue et qu'elle peut avoir pour conséquence l'introduction d'autres options que celles qui figurent dans la liste de base. Enfin, le souci de la santé des élèves est maintenu non seulement par l'exercice physique direct (sports : 7 à 8 crédits obligatoires), mais aussi par l'attribution de 2 crédits à la promotion de celle-ci (prévention, etc.). On est donc fort loin de la vision caricaturale de l'école japonaise que l'on nous décrit parfois en Europe Si la compétition pour entrer dans des écoles de qualité est bien réelle et engendre un stress que l'on ne saurait dissimuler, d'autres composantes n'ont rien à envier à nos systèmes de formation.

  (c) P. Favre & SENS, 2000